Les Community Land Trust (CLT), des outils innovants en matière de création de logements
Nées il y a 40 ans aux USA, les Community Land Trust (CLT) sont des organisations sans but lucratif qui achètent et gèrent des terrains et des bâtiments pour le bien de la collectivité. Leur objectif est de préserver la disponibilité de ces biens pour y créer des logements associés à des lieux de production et de sociabilité, et de les rendre accessibles de façon perpétuelle aux revenus les plus bas.
Ce modèle est innovant à plusieurs titres : principe de séparation de la propriété du sol et du bâti ; gestion à parts égales entre usagers du foncier, société civile du quartier et pouvoirs publics ; préservation perpétuelle des subventions publiques et des apports privés ; mixité de fonctions, etc.
Une étude de faisabilité sur la possibilité de transposer ce modèle à Bruxelles s’est terminée cet été. Dans la foulée, le Gouvernement bruxellois a décidé de soutenir la création du premier CLT du continent européen en Région bruxelloise.
Le modèle américain
Le premier Community Land Trust a été créé en 1969 aux Etats-Unis, dans l’Etat de Géorgie. Il était un des instruments de lutte de la population noire pour acquérir les mêmes droits que les blancs, notamment en matière de logement.
Mais en réalité, les CLT s’inspirent d’idées du 19ème siècle, notamment de Henry George (1839-1897) qui propose une taxe sur le foncier pour lutter contre la spéculation et le monopole des terres qui sont sources de pauvreté et d’inégalité ainsi que d’Ebenezer Howard (1850-1928) l’inventeur des cités-jardins.
Le CLT est une organisation sans but lucratif qui achète et gère des terrains et des bâtiments pour le bien de la collectivité et pour les maintenir accessibles aux revenus les plus bas.
Il repose sur 6 principes :
- 1. La distinction entre la propriété du sol et la propriété du bâtiment qui est dessus : le sol appartient au Trust, tandis que le bâtiment appartient à un particulier qui doit l’habiter personnellement.
- 2. La location du sol (leasing) au propriétaire du bâtiment, le sol restant la propriété du Trust.
- 3. L’accessibilité du bâtiment à des personnes ayant des bas revenus grâce au premier financement public (achat du terrain) et ce, perpétuellement sans nouvel apport public.
- 4. Le verrouillage perpétuel des subsides qui permet, lors de la revente du bien, de laisser l’essentiel de la plus-value dans le patrimoine du CLT (69%) et de partager le reste de la plus-value (31%) entre le CLT (6%) et les propriétaires du bâtiment (25%). L’acheteur suivant ne paye donc que la valeur initialement payée par le propriétaire précédent + 31% de la plus-value qu’aurait prise le bien sur le marché classique. De cette manière le bien reste accessible à une famille à bas revenus.
- 5. La gestion du Trust par les acteurs de la société : le Conseil d’administration du Trust est composé pour un tiers des habitants du CLT, un tiers de représentants de l’intérêt public et un tiers des représentants des quartiers (société civile).
- 6. Le stewardship qui implique d’une part « l’accompagnement des habitants » par l’information et la formation, le suivi de difficultés financières ou encore, les conseils à la rénovation et à l’entretien, et d’autre part « l’engagement par rapport à la communauté » par un bon usage du sol et du patrimoine et par le maintien des objectifs du Trust.
Un exemple américain
Dans les années 80, le CLT Champlain a été créé à Burlington (Vermont), une ville de 30.000 habitants située à 400 KM au Nord de New-York. A cette époque en effet, l’afflux d’acheteurs pour des secondes résidences avait fait monter le prix de l’immobilier et ne permettait plus aux familles locales d’accéder à un logement. La création du CLT a donc rendu l’accès au logement à des personnes dont les revenus représentaient moins de 80% du revenu médian de la région.
A l’heure actuelle, le CLT Champlain gère plus que 500 logements en propriétés mixtes, 1.500 logements en location, 115 appartements en coopérative, 6.000 m2 de surface commerciale et des espaces verts publics. Cette diversité permet à la fois une mixité sociale (de public et d’accès à l’usage) et une mixité fonctionnelle (logement, espaces collectifs, lieux de production…).
Les résultats de ce CLT sont impressionnants. Si on compare l’accès à la propriété sur base d’aides publiques d’un montant de 2.172.000 $, le CLT permet l’accès à la propriété pour 357 familles contre seulement 152 avec des programmes conventionnels de subsides. Le CLT permet donc à 2,3 fois plus de familles d’accéder au logement.
Par ailleurs, pour permettre à ces 357 familles d’accéder à la propriété, il n’a fallu que 2.172.000 $ d’aides publiques via le CLT, alors qu’il aurait fallu 10.584.000 $ d’aides publiques avec des programmes conventionnels de subsides. Le CLT coûte donc 5 fois moins cher que les programmes d’aides publiques pour un même résultat.
Résultats de l’étude de faisabilité d’un CLT à Bruxelles
Cette étude de faisabilité a duré 2 ans et s’est terminée cet été. Elle est à la fois théorique (étude de CLT aux Etats-Unis et ailleurs, choix d’un modèle juridique, projections financières, planning) et ancrée dans le concret (travail de réflexion avec des associations et 200 familles, création et lancement d’un CLT, montage d’opérations pilotes, et étude d’échantillons témoins aux niveaux juridiques, financier, fiscal…).
Elle établit une série de recommandations pour Bruxelles :
- 1. Travailler avec les acteurs qui existent déjà sur le terrain (Fonds du Logement comme organe de prêt et maître d’ouvrage, groupes d’épargne regroupant des familles souhaitant acquérir ce type de bien, comités de quartier comme moyen de communication…), sous la coordination du CLT.
- 2. Utiliser le principe de « séparation » du sol (au CLT) et du bâti (aux familles propriétaires). Opter pour un des 2 mécanismes possibles de vente du bâti :
- soit avec un droit d’emphytéose sur le terrain incluant une clause novatoire donnant suffisamment de garanties pour renouveler ce droit lors de la revente à une autre famille (existe déjà en Belgique, notamment à Louvain-la-Neuve) ;
- soit avec un droit d’emphytéose sur le terrain couplée à une servitude d’appui sur le sol (existe déjà en Belgique, notamment dans le cas d’infrastructures de grandes tailles comme les hôpitaux, centres commerciaux et administratifs).
- 3. Créer une structure « bicéphale » du CLT : une fondation d’utilité publique qui héberge le patrimoine foncier et bâti loué, et une asbl qui est la structure opérationnelle. Cette structure peut être associée ensuite avec une coopérative externe qui apporte du capital pour les opérations immobilières.
- 4. Gérer cette structure de manière équilibrée, avec des conseils d’administration composés d’un tiers d’habitants du CLT, un tiers de représentants de l’intérêt public et un tiers de représentants des quartiers. La Fondation n’ayant pas d’AG, c’est par le biais de Comité d’avis que des propositions (pouvant être contraignantes) seront amenées au conseil d’administration de la fondation d’utilité publique. Enfin, la fondation d’utilité publique mettra en gestion du patrimoine auprès de l’asbl sur base d’une convention qui en assurera la bonne utilisation selon les objectifs du CLT.
L’étude de faisabilité propose également une série de sources de financement de l’asbl et différents moyens de développement du patrimoine de la fondation d’utilité publique.
A l’heure actuelle, la plateforme CLT bruxelloise est en train de finaliser la création du CLT et de mener 5 projets pilotes sur les communes de Molenbeek, Anderlecht et Schaerbeek.
Une opération win/win pour les familles et les pouvoirs publics
Le CLT est une opération win/win. Tout le monde y gagne, les familles comme les pouvoirs publics et plus largement la qualité de la ville.
Pour les familles : le CLT permet d’accéder à des logements de qualité, permet un début de capitalisation et peut constituer une étape intermédiaire vers le marché immobilier classique. Il implique aussi les familles dans la vie de leur quartier et leur offre des opportunités, grâce aux activités culturelles et socio-économiques qui en font partie.
Pour les pouvoirs publics : le CLT permet de reconstituer des « morceaux de ville » avec des logements, des lieux de production, des espaces collectifs et des espaces publics. Il permet aussi la création de logements « durables » du point de vue :
- économique : le subside est maintenu à perpétuité, et les logements sont de haute qualité ;
- social : les familles à bas revenus ont accès au logement, elles s’impliquent dans leur quartier et leur quartier s’implique dans le projet ;
- environnemental : le sol est un bien commun géré par la collectivité.
Pour conclure, le CLT est un outil innovant qui s’ajoute aux outils déjà existants dans la Région de Bruxelles-Capitale en matière de logement. Il permet d’offrir de nouvelles alternatives aux bas revenus et d’augmenter significativement l’offre de logement, afin de répondre à la croissance démographique de la Région.
Contacts
Cédric CARLIEZ
Direction du Logement de Bruxelles développement urbain - Rue du Progrès, 80/1 - 1035 Bruxelles
E-mail : aatl.logement@sprb.irisnet.be
Tél. : 02/204.19.92
www.logement.irisnet.be
Bernard VAN NUFFEL
Cabinet du Secrétaire d’Etat au Logement Christos Doulkeridis
Rue du Régent, 21-23 - 1000 Bruxelles
Réalisation
Orlando SERENO REGIS et Geert DE PAUW
Plateforme CLT Bruxelles - Rue de la Colonne, 1 – 1080 Bruxelles
E-mail : orlando.cltb@gmail.com
E-mail : geert.cltb@gmail.com
Tél. 02/544.07.93
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